Qui a jamais persuadé son prochain à force d'arguments ? Au cours d'une vie, rares sont les moments où l'on se laisse convaincre et où l'on parvient à emporter l'adhésion de notre interlocuteur, préalablement fortement attaché à une opinion autre que la nôtre.
La rhétorique, traditionnellement définie comme l'art de persuader par le discours, se révèle être une science qui ne remplit pas l'objectif qu'elle se donne. Si l'on s'arrête à cette définition, les premières objections se font jour.
Les hommes argumentent constamment, et en toute circonstance, mais à l'évidence ils se persuadent assez peu mutuellement. Du débat politique à la querelle de ménage, de la dispute amicale à la polémique philosophique, c'est l'expérience constante que l'on en a. Peut-être du temps d'Aristote et des sophistes le rhéteur persuadait-il ses concitoyens à coups de sorites, d'enthymèmes et d'épichérèmes ? Il semblerait qu'aujourd'hui cela ne marche plus.
Ce constat pose une question dirimante à cette science séculaire : qu'en est-il d'une science aussi faillible ? Puis d'autres questions viennent à l'esprit. Pourquoi, se persuadant rarement, les hommes persévèrent-ils à argumenter ? Non seulement ils échouent dans leur stratégie de persuasion, mais rien ne saurait les décourager. Ils persistent à soutenir des controverses interminables, faites d'échecs répétés. Pourquoi ces échecs ? Qu'est-ce qui ne va pas dans le raisonnement mis en discours ? Alors que dans les situations de communication, le message parvient à son destinataire, et qu'il est entendu ? Pourquoi lorsque l'on argumente le message passe-t-il si mal ? Toutes ces questions ont longtemps été laissées de côté par la philosophie, empêtrée dans une succession de controverses qui opposèrent la plupart de ses grandes figures.
Marc Angenot nous propose d'explorer l'univers de la mécompréhension dans la volonté de persuader, d'en analyser les mécanismes, de répertorier les formes du raisonnement logique et celles des errements illogiques, et de nous éclairer quelques cas de dialogues de sourds qui marquèrent l'histoire de la philosophie. Cet ouvrage en vient à poser, in fine, la question de l'universalité de la raison raisonnante et à en dessiner les limites.
L'auteur traverse de nombreux types de discours - du juridique au judiciaire, en passant par le politique et l'historique (question du discours négationniste) - pour illustrer son propos.