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L'actualité littéraire vue par la librairie Point Virgule (Namur)
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Odile Snout s'affaire dans la cuisine de son pavillon cossu. Le boeuf bourguignon qui a mijoté toute la journée est prêt. Avec ses deux adolescents, elle attend son époux, dont on fête ce soir-là l'anniversaire. Les heures passent et Hervé ne se montre pas. Quelque chose ne tourne pas rond chez les Snout et l'angoisse commence à monter. Le lendemain matin, à la gendarmerie, le lieutenant ne semble pas inquiet. Hervé finira par rentrer chez lui, et reprendre son travail. On a bien le droit de disparaître. Dans sa langue incisive d'où émerge une poésie du quotidien, Olivier Bordaçarre brosse une analyse glaçante du monde du travail, du couple et de la vide de la famille.
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L'exil, toujours recommencé : Chronique de la frontière
Anne-claire Defossez, Didier Fassin
- Le Seuil
- La Couleur Des Idées
- 5 Janvier 2024
- 9782021549690
Anthropologue et médecin, Didier Fassin est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Questions morales et enjeux politiques dans les sociétés contemporaines, et directeur d'études à l'EHESS. Anne-Claire Defossez est sociologue, chercheure à l'Institute for Advanced Study de Princeton.
Fuyant les violences politiques, les persécutions religieuses ou la pauvreté, des hommes, des femmes, des enfants d'Afghanistan, d'Iran, du Maghreb et d'Afrique subsaharienne, se mettent en route pour des voyages de plusieurs années au cours desquels ils affrontent les rackets des bandes armées, les brutalités des polices, les camps d'enfermement, les murs de barbelés, les rigueurs du désert, les périls de la mer. Beaucoup y perdent la vie.
Cinq années durant, été comme hiver, Didier Fassin et Anne-Claire Defossez ont mené une recherche à la frontière entre l'Italie et la France, dans les Alpes, auprès de nombre de ces exilés, pour reconstituer leur périple en l'inscrivant dans le contexte géopolitique des bouleversements du monde. Ils ont pris part aux activités menées pour leur porter assistance. Ils ont rencontré les multiples acteurs de ce territoire de migrations millénaires.
Leur enquête donne ainsi à comprendre l'expérience des exilés, l'engagement des volontaires et même le désarroi des forces de l'ordre, conscientes de la vanité de leur mission. Elle dévoile l'inefficacité d'une militarisation de la frontière qui rend plus dangereuse la traversée de la montagne et d'une politique qui nie les droits de personnes en quête de protection. -
Paul a commis l'irréparable : il a tué son père. Seulement voilà : quand il s'est décidé à passer à l'acte, Thomas Lanski était déjà mort... de mort naturelle. Il ne faudra rien de moins qu'une obligation de soins pendant un an pour démêler les circonstances qui ont conduit Paul à ce parricide dont il n'est pas vraiment l'auteur.
L'Origine des larmes est le récit que Paul confie à son psychiatre : l'histoire d'un homme blessé, qui voue une haine obsessionnelle à son géniteur coupable à ses yeux d'avoir fait souffrir sa femme et son fils tout au long de leur vie. L'apprentissage de la vengeance, en quelque sorte.
Mélange d'humour et de mélancolie, ce roman peut se lire comme une comédie noire ou un drame burlesque. Ou les deux à la fois. -
Cécile est morte à vingt-sept ans dans un accident d'avion. Le personnage principal de ce récit a eu avec elle une brève relation de jeunesse. Cette mort hante sa mémoire, non de façon traumatique, comme on pourrait s'y attendre, mais d'une manière incertaine, fuyante, presque douce. Et peu à peu, c'est le souvenir lui-même qui s'étiole.
Un jour pourtant, le double de Cécile lui apparaît dans la rue. Il se met à suivre cette femme : si c'était elle, qui lui serait rendue par une sorte de faille spatiotemporelle ? L'absence fait place à une obsession hallucinatoire, où il imagine les mille vies potentielles que Cécile aurait pu avoir.
Quelle place faisons-nous, en nous, à ceux que nous avons aimés, ceux qui sont partis, ceux qui ont disparu ? Avec une grande délicatesse, Philippe Marczewski raconte les rapports entre la mémoire et l'oubli : l'expérience vécue donne ici corps à une langue qui la sublime, pour dire les présences et les absences qui tissent nos histoires. -
On ne savait pas, avant cela, ce que signifiait être chez soi.
Enfin immenses à Immensità.
Mauve a dix-sept ans, une mère virtuose, deux pères à l'écoute et la vie devant elle, quand un violent séisme détruit sa ville natale. Ensevelie sous les gravats, elle songe à monsieur Cha, son professeur de trompette, et au Jardin, véritable coeur battant d'Immensità, où l'on se rencontre, se distrait, se cache et où l'on est même enterré. Une fois sauve, Mauve franchit pour la première fois les frontières de la ville afin d'être soignée. Dans ce dispensaire étranger, elle rencontre Pons et Léore. Ensemble, ils attendent des nouvelles de leurs proches, se soutiennent, guérissent et réfléchissent à Immensità, à ce qu'elle fut et deviendra, une fois reconstruite.
Dans cette utopie à la fois âpre et délicate, Victoire de Changy déploie toute son imagination et la singularité de son écriture pour interroger la notion de société idéale et les possibilités de vie en commun. Accordant une place centrale aux corps, à la nature et à l'architecture, elle bâtit un texte où tous les sens sont en éveil, récit d'une émancipation individuelle mais aussi de toute une société, invitant à une réflexion sur la liberté, la solidarité et l'inclusivité. -
Heim Hochland, en Bavière, 1944. Dans la première maternité nazie, les rumeurs de la guerre arrivent à peine ; tout est fait pour offrir aux nouveau-nés de l'ordre SS et à leurs mères «de sang pur» un cadre harmonieux. La jeune Renée, une Française abandonnée des siens après s'être éprise d'un soldat allemand, trouve là un refuge dans l'attente d'une naissance non désirée. Helga, infirmière modèle chargée de veiller sur les femmes enceintes et les nourrissons, voit défiler des pensionnaires aux destins parfois tragiques et des enfants évincés lorsqu'ils ne correspondent pas aux critères exigés : face à cette cruauté, ses certitudes quelquefois vacillent. Alors que les Alliés se rapprochent, l'organisation bien réglée des foyers Lebensborn se détraque, et l'abri devient piège. Que deviendront-ils lorsque les soldats américains arriveront jusqu'à eux ? Et quel choix leur restera-t-il ? Reconstituant dans sa réalité historique ce gynécée inquiétant, ce roman propose une immersion dans un des Lebensborn patronnés par Himmler, visant à développer la race aryenne et à fabriquer les futurs seigneurs de guerre. Une plongée saisissante dans l'Allemagne nazie envisagée du point de vue des femmes.
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« Les enfants, les bébés, ils les appellent les "petitous". Et c'est vrai qu'ils sont des petits touts. Qu'ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Tout ce qu'ils leur ont transmis, caché, inventé. Tout.
C'est pas toujours facile d'être un petit tout, d'avoir en soi autant d'histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi. »
Dans une ferme, l'histoire se reproduit de génération en génération : on s'occupe des bêtes, on vit avec, celles qui sont dans l'étable et celles qui ruminent dans les têtes. Peintes sur le vif, à petites touches, les vies se dupliquent en dégradé face aux bêtes qui ont tout un paysage à pâturer.
Marion Fayolle crée un monde saisissant dont la poésie brutale révèle ce qui s'imprime par les failles, par les blessures familiales, comme dans les creux des gravures en taille-douce. -
Quelque chose de brillant avec des trous
Maggie Nelson
- Éditions du sous-sol
- 8 Mars 2024
- 9782364685598
"Tu n'as pas la moindre idée
du genre de lumière que tu laisseras entrer
quand tu feras tomber ce bol,
aucune idée
de ce qui te remplira"
Maggie Nelson
Poétesse, essayiste et critique d'art américaine née en 1973, elle s'est affranchie du carcan des genres littéraire établis.
Mêlant avec brio écriture autobiographique et théorie critique, Maggie Nelson a fait de ses questionnements sur la famille, le genre, la violence sexuelle, l'histoire de l'avant-garde et la philosophie des sujets de prédilection. Recueil paru en 2007 aux Etats-Unis, Quelque chose de brillant avec des trous est une méditation intemporelle sur la perte et la liberté. -
L'étrange collection de Mamita
Thomas Medard, Lisbeth Renardy
- Les Fourmis Rouges
- 26 Mai 2023
- 9782369021780
Yris collectionne les bouts de bois en forme de Y. Mamita, sa grand-mère qui collectionne les collections des autres, lui parle d'autres collectionneurs, comme Luigi et les cailloux ou Sacha et les objets luminescents. Un album sur l'art de collectionner en apprenant à sélectionner, regarder attentivement le monde et créer du sens.
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Laetitia est née trois minutes avant sa soeur jumelle Margaux et trente-sept minutes avant l'explosion de Tchernobyl. Malgré des études dans une grande école de commerce, elle grenouille au Snowhall de Thermes-les-Bains, au désespoir de ses parents. Elle vit à La Cave où elle écoute Nick Cave, obsédée par les SUV et la catastrophe climatique en cours.
Il faut dire que Laetitia vit en Lorraine où l'État, n'ayant désormais plus de colonie à saccager, a décidé d'enfouir tous les déchets radioactifs de France. Alors avec sa bande, Taupe, Fauteur, Thelma, Dédé, elle mène une première action spectaculaire qui n'est qu'un préambule au grand incendie final.
Dans ce premier roman haletant où l'oralité tient lieu de ponctuation, Hélène Laurain, née à Metz en 1988, nous immerge au coeur incandescent des activismes contemporains. -
Mathilde est devenue insomniaque. Puis elle a perdu le sens du toucher. Il y a eu d'autres signes : des feuillets retrouvés à la mort de son grand-père, une vidéo de Leonard Cohen à Jérusalem, le retour de la guerre en Europe. Mathilde est désorientée.
Est-ce pour cela qu'elle décide subitement de prendre un avion pour Israël?? Comme si la réponse aux questions qu'elle se pose l'attendait là-bas depuis toujours.
De Tel-Aviv à Capharnaüm, puis à Jérusalem, ses rencontres avec des inconnus - et quelques fantômes - ne font qu'approfondir le mystère.
Jusqu'au moment où, dans un éclair, la vérité lui apparaît. Prenant l'Histoire à bras-le-corps, Qui-vive est aussi l'itinéraire d'une femme qui cherche à réconcilier son paysage intérieur avec le monde qui l'entoure. Un roman aux multiples facettes qui confirme de manière éclatante le talent de son auteure. -
Effrontée, déterminée, passionnée, inventive et transgressive: telle est la jeunesse intemporelle qui se dessine en Europe de l'Est d'avant-guerre, juste avant d'être tragiquement brisée par la Shoah.
Vivre nous révèle les confidences de six adolescents, qui ont écrit leurs autobiographies pour un concours d'écriture en yiddish organisé dans les années trente. Perdues dans le tumulte de l'Histoire et récemment retrouvées dans le sous[1]sol d'une église à Vilnius, ces archives ont ému l'auteur Ken Krimstein, qui en a réalisé une adaptation graphique.
Ces témoignages du passé s'animent sous la plume tendre et le trait vif de l'auteur, qui compose ainsi un remarquable travail de mémoire et un hommage vibrant à la jeunesse du Yiddishland. Ces récits drôles, poignants et spontanés recomposent la richesse et la diversité d'un monde anéanti par la barbarie nazie. -
Rousse : Ou les beaux habitants de l'univers
Denis Infante
- Tristram
- Litterature Francaise
- 4 Janvier 2024
- 9782367190990
Sur une terre que l'homme semble avoir désertée, où l'eau est devenue rarissime, tous les vivants -
" mobiles autant qu'immobiles " - souffrent de la soif. Les végétaux dépérissent. Les animaux aquatiques aussi, pris au piège de l'évaporation de leurs demeures. Au retour de leurs longs périples, les oiseaux migrateurs n'apportent pas de bonnes nouvelles : partout la sécheresse sévit.
" Quelques-uns pourtant avaient osé, s'étaient décidés pour une des quatre directions, par choix ou guidés par pur hasard, et s'étaient mis en marche, droit devant. Rousse était de ceux-là. "
Ainsi commence ce bref roman, porté par une langue au ras du réel, de la conscience et des sensations de Rousse, une jeune renarde. Son histoire possède la clarté d'une fable et la puissance d'une odyssée. Le chapitre où Rousse découvre une trace de l'existence passée des hommes - l'incompréhensible carlingue d'un avion de ligne écrasé au sol - est inoubliable. Tout comme sont inoubliables les scènes où elle chemine et dialogue avec un vieux corbeau très sage, du nom de Noirciel. Et quel meilleur
suspense que la recherche héroïque d'une eau vitale, mais peut-être impossible à trouver...
L'exergue, emprunté à Jean Giono, dit tout de l'ambition poétique et métaphysique de ce roman splendide :
" Dans tous les livres actuels on donne à mon avis une trop grande place aux êtres mesquins et l'on néglige de nous faire percevoir le halètement des beaux habitants de l'univers. " -
La résidence K, édifice de briques rouges abritant des femmes célibataires, apparaît aux habitants de Tokyo comme une demeure tranquille pour dames respectables. Lorsque le passe-partout qui permet de pénétrer dans les cent cinquante chambres de I'immeuble disparaît de la loge de la gardienne, les locataires retiennent Ieur souffle. Car la clé n'ouvre pas seulement les portes, mais donne aussi accès aux secrets les plus intimes des résidentes. Certaines femmes ont tout intérêt à brouiller les pistes. Publié en 1962 au lapon, Le Passe-Partout est un grand classique du roman noir. Une pépite pleine de tension délicieusement tokyoïte.
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" Nous vivons tant de vies à l'intérieur de la nôtre, des vies plus petites avec des personnes qui vont et qui viennent, des amis qui disparaissent, des enfants qui grandissent, et je ne suis pas sûre de savoir laquelle de mes vies est le cadre dans lequel s'inscrivent toutes les autres. "
Une femme est clouée au lit, fiévreuse. Sans pouvoir expliquer pourquoi, elle a soudain l'envie de relire la Trilogie new-yorkaise de Paul Auster. De là, elle commence à se remémorer des moments de sa vie, notamment sa vingtaine dans les années 1990, à l'aube du tournant de l'an deux-mille. Les méandres de ses souvenirs forment une prose magnétique nourrie de nostalgie et de réflexions existentielles irrésistibles. Le tout agrémenté de références réjouissantes à la littérature. Son existence semble se résumer à quatre relations dont un amour indélébile, une amitié sauvage, une rencontre électrique et éphémère. Elle en tire des portraits inoubliables dont les sujets sont à la fois celle qui raconte et ceux qui sont racontés, une perspective, des détails que l'on remarque ou pas, une histoire de relations qui se font et se défont avant que l'ère numérique ne vienne bouleverser les rapports humains. -
Elle sonne à la porte de sa soeur, attend longuement qu'on lui ouvre. Nastia, la cinquantaine bien entamée, «la Parisienne» comme l'appelle sa soeur, est de retour à Ljubljana. Si elle est là, c'est pour des raisons sentimentales : elle ne peut pas rester dans la même ville que celui qui vient de la quitter brusquement, du jour au lendemain. La voilà donc dans Ljubljana, en pleine pandémie, alors qu'un puissant mouvement de protestation anime les rues de la capitale slovène. Au bout de quelques jours, elle trouve un appartement à louer, trop grand pour elle, mais peu importe. C'est l'arrivée de Tobias, installé dans la chambre à côté de la sienne, qui va tout changer. Ce jeune journaliste belge est venu faire un long reportage sur la contestation citoyenne, dont il admire la force et la créativité. Quelque chose naît entre eux : un dialogue, une attention à l'autre, le sentiment d'une vraie rencontre. À ses côtés, Nastia découvre une Ljubljana bien différente de celle, socialiste et yougoslave, de son enfance et de sa jeunesse, et pose un autre regard sur le mouvement de protestation, sur la façon de se révolter aujourd'hui. Car c'est de cela que parle ce roman : de la révolte intime et collective.
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- Je vous ai dit que l'important c'est le récit, Barnabé. Vous préférez être fou ou coupable ?
- Ni l'un ni l'autre, en fait.
- Vous n'allez tout de même pas me dire que vous êtes innocent.
- J'ai aimé Clarisse, j'ai aimé Rosalie, je les ai aimées plus que moi-même.
Et puis plus rien.
Dans une petite ville côtière nichée entre d'abruptes falaises et une campagne paisible, une jeune femme est retrouvée noyée. Faute de preuves, son harceleur, un jeune jardinier prénommé Barnabé, échappe de justesse à la prison. Pourtant, quelque temps plus tard, le cadavre d'une seconde victime est retrouvé en contrebas du Belvédère, ce au moment même où notre suspect rentre au manoir familial - après un bref passage en institution.
Si tout semble accuser Barnabé, l'enquête dévoilera d'autres personnages délicieusement inquiétants. Entre un père psychiatre adepte de l'enfermement, une voisine trop curieuse, une mère aimante mais possessive, une amie peu encline à collaborer, un policier frustré avide de polars immoraux, un époux violent et un journaliste manipulateur, la partie de Cluedo, aussi hilarante qu'addictive, ne fait que commencer...
Portrait décapant d'une famille hautement dysfonctionnelle, roman à suspense et comédie macabre, Amour fou brouille les pistes pour mieux nous manipuler.
Après tout, jusqu'où sommes-nous prêts à aller pour être aimé ? -
Mars 2020. L'épidémie de Covid s'étend à travers le monde et les populations sont appelées à se confiner. Sacha Senderovski, écrivain, sa femme Macha, psychiatre, et leur fille adoptive Natacha, enfant précoce obsédée par la K-pop, accueillent un groupe d'amis dans leur maison de campagne sur les bords de l'Hudson. Dans ce cadre idyllique, la troupe hétéroclite constituée d'intellectuels citadins de diverses origines va se trouver ébranlée par les vicissitudes d'une retraite forcée qui servira pour chacun de révélateur.
Avec Très chers amis, Gary Shetyngart signe l'un de ses romans les plus drôles. Un huis clos entre la comédie à l'américaine et le roman russe, où se nouent intrigues amoureuses, rapprochements et trahisons.